lundi 17 avril 2017

LETTRES DE MON BARREAU : EDMOND BERTRAND, LE MAITRE DE PAUL LOMBARD




Dans les  « Confidences d’un ténor du barreau », celles de  Paul LOMBARD, tout récemment décédé, on lui demande de donner les noms des professeurs de droit dont il a gardé le souvenir intact. 

Il en cite deux,  Henri CREMIEUX, en second, et subsidiairement. Je n’en parle pas, je ne l’ai pas connu.  

Et surtout un en premier, Edmond BERTRAND. Je l’ai admirablement connu, lui.
Edmond BERTRAND fut aussi mon professeur, en doctorat, et j’eus même l’honneur d’être son collaborateur chercheur, avec quelques autres,  dont certains finirent avec l’agrégation,  lorsque nous avons tenté,  sur son idée et sa direction,  le traitement des abstracts pour créer  l’informatique juridique à l’Institut d’études judiciaires d’AIX EN PROVENCE  dans les années 1970. 

Quelque part, c’est devenu un jour Légifrance… 

C’est d’ailleurs sur sa recommandation, donnée et reçue  comme un sésame,  que la porte de Paul  LOMBARD me fut ouverte, sans la moindre difficulté lorsque je me suis présenté à lui comme stagiaire.

En voici la description par Paul LOMBARD,  qui avait  été aussi son étudiant,   mais vingt  ans avant moi : rien n’avait changé.

« « Edmond BERTRAND, brillant et cruel à la fois, m’enseigna la procédure.  Sa chevelure de virtuose où jamais un peigne ne se risquait, posée le désordre de son large front, le faisait ressembler à BERLIOZ vieillissant. Aux hasards de son inspiration, des rosseries vénéneuses s’échappaient de ses lèvres minces où une éternelle cigarette épongeait, vaille que vaille, une salive généreuse. Son humeur ravissait ses auditeurs et crucifiait ses victimes. Il transformait la procédure, protection des libertés et tourment des tribunaux, en théorèmes arides, poétiques et drôles. Je lui dois bon nombre d’acquittements de repris de justice sauvés par l’inattention d’un magistrat ou la gaucherie d’un greffier. Quand je gratte les cordes de cette lyre bien accordée, l’ombre d’Edmond BERTRAND s’assied à mes côtés sur le ban de la défense.

Je me dandinais debout derrière ma chaise le jour où il m’interrogea sur les mérites de la subrogation imparfaite, matière peu familière. Pour trouver une contenance, je m’appuyais sur le dossier ? « Monsieur (il appelait tous ses élèves, Monsieur), je vous suggère, quand vous répondez à mes interrogatoires, de ne vous appuyer que sur vos textes… 

Interrogatoire ? Le mot était bien chois, car le professeur BERTRAND aurait fait un beau parcours chez le général MASSU. J’étais en perdition. Il en profita pour me porter le coup de grâce : « Sur quel ouvrage, Monsieur, avez-vous travaillé ? » Croyant me tirer d’un mauvais pas, je répondis sans réfléchir : « J’ai emprunté à un camarade de l’autre section le traité de procédure de votre collègue Monsieur CREMIEUX. » Une grimace glissa sur son visage. Les deux hommes se détestaient. « J’espère que vous avez complété la lecture de cet opuscule par celle de CHAPRAT. « Un frisson parcourut mon échine. Le CHAPRAT était le résumé en vingt  pages de la procédure, à l’usage de la capacité, la sous licence de l’époque, le trophée des cancres. » »

Si une chose, CREMIEUX et CHAPRAT étaient passés ad patres.

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S’il fallait s’en assurer, c’est dans les « Confidences d’un ténor du barreau », celles de  Paul LOMBARD, tout récemment décédé, écrites dans la réalité par Laurent BOSCHER, qu’on voit justement que mon maitre n’a pas écrit directement.

Quelques fautes de noms propres qui ne trompent pas. 

D’un lieu proche du site de l’affaire, on  parle de LA BARBIN ou lieu de LA BARBEN.

Et on appelle KREKORIAN, le commissaire principal KRIKORIAN, Grégoire KRIKORIAN, qui dirigeait alors la police nationale d’AIX EN PROVENCE,  lequel est  le père, toujours parmi nous,  de notre confrère et mon ami Philippe KRIKORIAN.  C’est lui qui avait mené l’enquête policière.

Histoire ténébreuse à souhait, dans laquelle un sujet britannique, Jérémy CARTLAND, défendu par Paul LOMBARD, était à l’occasion du meurtre de son père,  à la fois partie civile, justement près d’AIX EN PROVENCE, et inculpé, sur le travail de la police locale,  pour parricide.

L’affaire fut in extremis transférée à la demande des Anglais  à la police britannique, et finalement classée outre Manche.

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Encore Paul LOMBARD, dont le témoignage est à la fois unique et inestimable. 

Je suis pied noir, mais pas « un avocat pied noir »,   en ce sens que l’Algérie était indépendante depuis huit ans déjà lorsque je suis entré dans la profession, et à Marseille. Alors, je suis bien obligé d’être concerné.

LOMBARD évoque un confrère  qui avait appartenu au barreau d’ALGER, « le deuxième de ce pays, à l’époque où la ville blanche était encore française ».

« « Poussé par le vent de l’histoire, il  avait, comme la plupart de ses confrères, débarqué dans une métropole assez inquiète de cette invasion de professionnels redoutables.

Les avocats d’Afrique du nord avaient pour capital des habitudes de tradition d’indépendance, une très grande connaissance du droit, le lyrisme de la Méditerranée, auquel se mêlaient une facilité d’argumentation et une âpreté dans la discussion qu’ils devaient sans doute à leur concubinage avec l’islam.

Si les autorités, bâtonniers et conseil de l’ordre en tête, leurs réservèrent un accueil irréprochable, les avocats de l’hexagone vient arriver sans enthousiasme ces concurrents d’autant plus dangereux que, n’ayant plus rien à perdre,  ils étaient en droit d’espérer, et tout de suite. » »

La suite dans les Confidences du ténor du barreau.

De mon côté, qu’on me  permette de citer Nicolas URBANI, le dernier bâtonnier d’ALGER, qui fut l’ami de mon père, mais aussi  celui qui devint mon ami, Marcel TUBIANA, bâtonnier de BONE, je les ai bien connus  et appréciés tous les deux ici à MARSEILLE. 

Et même ceux qui ont tenté un temps bref de rester sur place,  comme André CHEROT.

LETTRES DE MON BARREAU : A PARIS, SURTOUT PAS A MARSEILLE




Les « Confidences d’un ténor du barreau », celles de  Paul LOMBARD, écrites dans la réalité par Laurent BOSCHER,  recèlent quelques piques malheureusement si vraies. Qui s’expriment ainsi : la province du barreau, celle que Paul LOMBARD a connue, et que tant d’autres ont vécue aussi, vivent encore, est celle de la médiocrité. Spécialement à MARSEILLE, où la disproportion entre l’exceptionnel et la médiocrité est flagrante. 

Et toutes celles et ceux qui ont pensé un temps pouvoir être au-dessus de la mêlée par talent ou volonté de talent sont restés plaqués au sol.

Lui avait tout compris. Comme avant lui, mais en une autre matière, Marcel PAGNOL.

Paul LOMBARD  évoque celui qui fut son maitre de stage, Olivier MAURIN, que j’ai parfaitement connu aussi, mais 20 ans plus tard. 

De lui il écrit « Il n’était pas encore fripé comme un parchemin, mais possédait déjà le talent de clocher qui l’amarra à sa ville, privant ainsi la France de sa ruse et de son verbe élégant. Son erreur faillit être la mienne : il prit Marseille pour le centre de la planète et de monde pour un périmètre borné par l’Estaque, Saint-Giniez, la Canebière et la rue Paradis. »

Sur la grandeur du personnage, je n’ajouterai qu’une chose, parfaitement  personnelle. 

Mes premiers contacts avec Olivier MAURIN avaient  été exécrables, de sa prétention hautaine.  

Et puis, nous avions été adversaires devant le Tribunal de commerce,  dans une affaire où il plaidait pour les Chantiers navals de LA CIOTAT, en un temps où ceux-ci  devaient construire l’un de leurs derniers bateaux. 

De ce temps, il ne reste absolument  plus rien.  Le bâtiment du Tribunal de commerce.

J’étais moi,  l’avocat  d’un un sous-traitant local,  à qui on avait confié la réalisation,  en résine de synthèse armée,  de pièces de tuyauterie pour embarquer et résister à la corrosion. 

Nous étions opposés sur une question technique très pointue, une histoire de couple de serrage un peu trop fort par les Chantiers navals,  qui ignoraient que la résine était plus cassante que l’acier.

Pour comprendre le rapport de l’expert judiciaire, les clients m’avaient convaincu  et j’étais emballé de réaliser un film vidéo, collant,  page par page,  au rapport de l’expert judiciaire désigné. C’était en ce temps-là le début de la V.H.S. et j’avais donc demandé au Tribunal l’autorisation d’installer dans la salle d’audience un écran de télévision et un magnétoscope pour visionner le film, dont la copie avait été remise préalablement à Olivier MAURIN.

Nous avions donc plaidé devant la télévision, chacun pouvant avancer  ou reculer le film à son gré.

J’avais finalement gagné,  du moins dégagé ma cliente de l’accusation de mauvaise qualité du produit.

Je me souviens qu’en sortant de l’audience, Olivier MAURIN avait dit de moi : « on pourra dire ce qu’on voudra sur KUCHUKIAN, mais ça c’est un avocat ».
Nos rapports furent ensuite cordiaux, et même amicaux. 

Après qu’il ait quitté la profession, en retraite,  je  le saluais et nous échangions régulièrement au restaurant du Vieux Port,  où souvent nous nous retrouvions,  lui à sa table avec son entrecôte frites et sa bière, moi avec la mienne et mes côtes du Rhône.

Je ne sais pas pour moi, ou d’autres,  mais je suis sûr pour Olivier MAURIN : Paul LOMBARD avait raison.


LETTRES DE MON BARREAU : A PROPOS DES CONFIDENCES POST MORTEM DE PAUL LOMBARD




Je suis désolé de ne pas partager l’emballement de notre ami GIROUD à propos  des « Confidences d’un ténor du barreau », celles de  Paul LOMBARD, tout récemment décédé, écrites dans la réalité par Laurent BOSCHER. Je n’ignore pas, moi,  moins que personne, que notre immense confrère, lui qui fut mon maitre de stage, était bien malade, du coup j’imagine qu’il n’a pas écrit ce livre. Il l’a dicté, et j’imagine qu’on a du arranger ses propos. Ce qui est certain – et excusez-moi, je l’ai connu et je reconnais son style – c’est que ce n’est pas, sauf quelques éclats, du grand Paul LOMBARD. Celui que j’ai côtoyé.

Il y a cependant des coups superbes, révélateurs du personnage, qui a attendu  sa mort  pour vider quelques sacs, au surplus quant à des confrères eux-mêmes passés ad patres.

Je puis ajouter, par exemple,  lorsqu’il évoque la mémoire d’un bâtonnier Henri BERTRAND, si particulier que même le célèbre René FLORIOT s’en souvenait encore. 

Paul LOMBARD parle de guimauve. Le terme est aimable. C’était un vachard gâteux, sous des aspects distingués. 

Fâché avec tout le monde, monde sur lequel il bavait. Y compris m’a confié un jour un de ses collaborateurs, aujourd’hui retraité, envers l’éléphant en céramique qui était posé sur une cheminée face à sa table de travail, et à qui il s’adressait régulièrement en ces termes « forces obscures du mal, je vous hais ».
Je n’ai pas fini avec cet ouvrage. J’y reviendrai par des commentaires  sur ses meilleurs éléments, ceux qui ont la pâte du maitre.

Je note cependant la dernière ligne, lorsque Paul LOMBARD évoque  sa nouvelle vie à partir de ses 49 ans. Peut-être quand va commencer l’affaire de CANSON dans laquelle la profession toute entière. Je n’écris rien d’autre.