Dans les « Confidences d’un ténor du barreau »,
celles de Paul LOMBARD, tout récemment
décédé, on lui demande de donner les noms des professeurs de droit dont il a
gardé le souvenir intact.
Il en cite deux, Henri CREMIEUX, en second, et subsidiairement.
Je n’en parle pas, je ne l’ai pas connu.
Et surtout un en premier, Edmond
BERTRAND. Je l’ai admirablement connu, lui.
Edmond BERTRAND fut aussi mon
professeur, en doctorat, et j’eus même l’honneur d’être son collaborateur
chercheur, avec quelques autres, dont
certains finirent avec l’agrégation, lorsque nous avons tenté, sur son idée et sa direction, le traitement des abstracts pour créer l’informatique juridique à l’Institut
d’études judiciaires d’AIX EN PROVENCE
dans les années 1970.
Quelque part, c’est devenu un jour Légifrance…
C’est d’ailleurs sur sa recommandation,
donnée et reçue comme un sésame, que la porte de Paul LOMBARD me fut ouverte, sans la moindre
difficulté lorsque je me suis présenté à lui comme stagiaire.
En voici la description par Paul
LOMBARD, qui avait été aussi son étudiant, mais vingt ans avant moi : rien n’avait changé.
« « Edmond BERTRAND, brillant
et cruel à la fois, m’enseigna la procédure. Sa chevelure de virtuose où
jamais un peigne ne se risquait, posée le désordre de son large front, le
faisait ressembler à BERLIOZ vieillissant. Aux hasards de son inspiration, des
rosseries vénéneuses s’échappaient de ses lèvres minces où une éternelle
cigarette épongeait, vaille que vaille, une salive généreuse. Son humeur
ravissait ses auditeurs et crucifiait ses victimes. Il transformait la
procédure, protection des libertés et tourment des tribunaux, en théorèmes arides,
poétiques et drôles. Je lui dois bon nombre d’acquittements de repris de justice
sauvés par l’inattention d’un magistrat ou la gaucherie d’un greffier. Quand je
gratte les cordes de cette lyre bien accordée, l’ombre d’Edmond BERTRAND
s’assied à mes côtés sur le ban de la défense.
Je me dandinais debout derrière ma
chaise le jour où il m’interrogea sur les mérites de la subrogation imparfaite,
matière peu familière. Pour trouver une contenance, je m’appuyais sur le
dossier ? « Monsieur (il appelait tous ses élèves, Monsieur), je vous
suggère, quand vous répondez à mes interrogatoires, de ne vous appuyer que sur
vos textes…
Interrogatoire ? Le mot était bien chois, car le professeur
BERTRAND aurait fait un beau parcours chez le général MASSU. J’étais en
perdition. Il en profita pour me porter le coup de grâce : « Sur quel
ouvrage, Monsieur, avez-vous travaillé ? » Croyant me tirer d’un
mauvais pas, je répondis sans réfléchir : « J’ai emprunté à un
camarade de l’autre section le traité de procédure de votre collègue Monsieur
CREMIEUX. » Une grimace glissa sur son visage. Les deux hommes se
détestaient. « J’espère que vous avez complété la lecture de cet opuscule
par celle de CHAPRAT. « Un frisson parcourut mon échine. Le CHAPRAT était le
résumé en vingt pages de la procédure, à
l’usage de la capacité, la sous licence de l’époque, le trophée des cancres. » »
Si une chose, CREMIEUX et CHAPRAT
étaient passés ad patres.