Deux arrêts de
la chambre criminelle, du 12 décembre
2006 (n°05-86214) et du 14 octobre 2008 (n°08-81617) devraient inciter à
une réflexion quant à l’avenir de l’oralité, et aux
dangers sérieux qui la menacent.
Cette grave
question n’y était pourtant pas ainsi
exprimée, du moins en apparence.
Il était
archi classique. Un confrère devait défendre une prévenue qui l’avait
mandatée, mais il n’avait pas de lettre
de représentation. Il n’était ni le premier ni le dernier à l’avoir oubliée. Il
passe alors en force, et prend des
conclusions écrites. On ne peut que le louer.
Premier arrêt,
la Cour de cassation dit que la Cour d’appel a bel et bien jugé
contradictoirement. Mieux, et là
certains, dans la profession,
ont triomphé à l’époque, en considérant qu’on n’avait plus besoin de
lettre de représentation, ce qui n’était pas tout à fait exact, on juge, sans l’écrire, que la lettre de représentation n’est pas
vraiment indispensable puisqu’on approuve : « les juges, après avoir
constaté que l’avocat de la prévenue n’était pas muni d’un pouvoir de
représentation, ont mentionné dans leur arrêt les seules demandes présentées
oralement par celui-ci, à qui la parole
a été donnée en dernier ».
Donc, pourvu
qu’on arrive à l’audience avec un bout de papier écrit, tout va bien. Fini donc l’hypocrisie des
lettres de représentation signées par l’avocat lui-même (mais non, voyons, ça
n’existe pas). Toutefois dans cette
affaire, il est dit qu’on n’a pas tenu compte de ce qui était écrit, mais seulement
de ce qui a été plaidé. Bravo.
Le deuxième
arrêt enfonce le clou, en le tordant un peu.
Sans qu’on sache si finalement on a tenu compte d’une plaidoirie, dont il n’est pas certain qu’elle ait eu
lieu, la Cour de cassation considère comme contradictoire un arrêt d’appel
condamnant une partie n’ayant pas remis
une lettre de représentation à son avocat, tandis que ce dernier avait
déposé des conclusions écrites pour elle. « Le dépôt de conclusions écrites
pour compte des prévenus fait supposer l’existence d’un mandat donné à l’avocat
pour représenter ses clients. » Et la Cour d’appel (approuvée par celle de
cassation) de remarquer que les clients ne contestaient pas avoir donné ce
mandat, alors que le fond de l’affaire était qu’on n’aurait pas répondu
clairement aux conclusions écrites.
Quand on fait la synthèse, voilà qui veut dire
que l’oralité a pris un, puis
deux grands coups dans l’aile.
Alors,
qu’on ne l’oublie jamais, l’oralité, c’est le sommet du principe de
la liberté d’accès à la justice.
Attention en
effet à la dérive possible.
C’est
bien, à chaque fois, d’avoir donné l’impression que le coup était
arrangé, en déclarant contradictoires
les décisions rendues, tandis que la
deuxième décision semble s’être seulement attachée au simple écrit, sans plaidoirie.
Ceci ne
veut-t-il pas dire que le principe même de la plaidoirie au pénal, c'est-à-dire
dans le saint des saints de l’oralité, était
en cause ?
Evidemment
oui, et personne ne le voit.
Les juges qui
ont ainsi statué, en accordant le
contradictoire, se sont surtout
couverts à l’égard de la convention européenne des droits de l’homme, qui était d’ailleurs invoquée à l’appui du
premier pourvoi.
Avec l’entrée
en force de l’informatique, déjà dans
les procédures traditionnellement écrites au civil, le seul fait que le pénal
se contente de ce bout d’écrit ne veut-il pas dire que tout le système oral peut
être entrainé ?
C’est qu’en
plus, il existe même des suites alternatives
possibles s’il faut tout de même plaider.
Pour éviter de
se déplacer, et de perdre son temps, sans compter que les juges ont autre chose
à faire qu’à nous écouter :
·
Version douce, on plaiderait devant une caméra et à
distance (aie, c’est presque fait)
·
Version pour les flémards, on pourrait
plaider devant la web cam de son bureau, pourquoi pas chez soi, dans son
lit par exemple, voire sous la douche, l’été dans le jardin ou la piscine.
·
Version plus élaborée, on s’enregistrerait en studio et on enverrait au tribunal son film
par Internet.
·
Version plus flémarde que celle ci-dessus élaborée, quelqu’un à la maison vous filmerait au
caméscope.
Et au bout du
chemin, il ne serait plus besoin de salles d’audience. Quel progrès.
Dire que
c’était bien la peine, par
exemple, de se battre pour que les
audiences des chambres d’instruction ne ressemblent plus à celles des
juridictions administratives. Justement
au moment où on va peut être parvenir à plaider dans celles-ci, pour dire autre chose qu’on est venu dire
bonjour aux juges, et faire noter son
nom à l’entrée de la salle d’audience. Et où on s’évitera de partir, penaud,
sans avoir pu dire son fait au commissaire du gouvernement, désormais rapporteur public, après qu’il ait développé des arguments
inconnus, hors débats, et trop souvent tendancieux.
Et puis, il n’y
a pas qu’au pénal que la défense est orale, il y a aussi les tribunaux de
commerce, mes préférés, là où je me sens
le plus à l’aise, que je veux défendre,
non seulement dans leur existence,
mais aussi dans leur parfaite
mécanique de fonctionnement, laquelle est justement l’oralité des débats.
Il y a
aussi les conseils de prudhommes, les
tribunaux d’instance, et d’autres encore.
Alors le
papier, rien que le papier ? Non,
même pas le papier, le numérique écrit sur l’écran et transmis par
Internet.
Il ne faudrait pas qu’à terme, l’avocat soit
confiné dans un rôle de rédaction de papiers écrits, la suite étant la partie normalisée (comme les actes des notaires), et la fin le remplissage des cases
pré imprimées.
Là-dessus, il
faut bien reconnaitre cependant un avantage au tableau apocalyptique qui
précède.
Voyez vous, on
n’aurait plus à organiser des concours
de plaidoiries sur des thèmes nationaux ou pompeux, qui n’intéressent pas grand monde, c’est vrai, ou à se féliciter d’entendre les lauréats d’un
stage (qui vient de disparaitre) parler aux rentrées solennelles de choses
aussi inutiles que soporifiques, tandis qu’elles ne font finalement retarder le seul moment qui compte, celui d’aller profiter du
buffet.
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